DE LA SUFFOCATION...

15 mars 1966-15 mars 2024 : il y aura sous peu cinquante huit ans au compteur du temps qui passe que tu es décédé en preux, à vouloir combattre le régime de l’indépendance octroyée, Castor. Soit six décennies à vingt-quatre mois près. Quelque 21900 jours et nuits. De l’eau pas toujours limpide a coulé sous les ponts depuis lors au voisinage nord de la latitude zéro et tu demeures encore un inconnu pour la plupart de tes compatriotes dont la moitié à moins de 20 ans today. Osende Afana ? Alors pourtant que tu fus le premier économiste en Afrique à élucider la supercherie capitaliste, en prenant l’exemple du cacao dont ton terroir de la Lékié était alors un champion que la propagande de la dictature d’Ahmadou Ahidjo célébrait dans une émission dédiée à la radio. On dit que Grand Boubou et son entourage arrosèrent au champagne l’annonce de ta liquidation ce funeste jour là. L’ordre venait de Paris de t’effacer et ils obéirent, en gentils toutous du pré carré bleu-blanc-rouge. Cinquante huit ans plus tard, Castor, les relations commerciales entre l’Afrique et l’Occident battent toujours pavillon d’échange inégal. Rien n’a changé sur la paillasse en faïence blanche du Détriment.
La logique capitaliste essore d’une aube à l’autre le pays pour lequel tu as donné ta vie le 15 mars 1966, sa froide et implacable cruauté ruine des rêves, broie à bas bruit des existences. Ajouterais-je, dans l’indifférence générale ? Celle à tout le moins de ceux et celles qui collaborent à cet essorage activement, en tant que rouages à l’endroit où ils/elles se trouvent dans ce dispositif d’iniquité à grande échelle. Pour autant, la dénonciation du capitalisme, voire l’anticapitalisme, est sous les cieux vert-rouge-jaune une position inaudible. Karl Marx ? Sa réflexion éclairante sur la valeur, le travail, le capital et les liens entre ces notions ? Irrecevable pour les protagonistes de la falsification, car c’est scier la branche sur laquelle ils/elles sont assis(e)s.
Personne ne le fait, à moins d’être 100% zinzin. Contester l’ordre et le fonctionnement du monde, dans cette société percluse, ô combien, de bigoterie ? C’est perçu par les grenouilles de bénitier comme se dresser contre les desseins divins. Une posture luciférienne quasiment, parce que tout ce que Dieu fait est réputé bon par les soutanes, leurs directeurs de conscience. Y compris ces écarts de revenus abyssaux ? Quand les myriades démunies font des pieds et des mains pour assurer leur quotidien, s’échinent à temps plein pour garder la tête hors de l’eau ? Pendant que sous leur nez une clique mixte de Profiteurs en tout genre et de tout poil baigne dans une opulence scandaleuse ? Ce serait ainsi Dieu omniscient/omnipotent qui veut ça et il ne faut donc pas aller s’insurger contre Sa volonté infaillible. La théologie de la soumission aura été d’une redoutable efficacité sous nos cieux subjugués par le monothéisme, Castor, et elle tient les esprits du cru enserrés dans une dure gangue. Depuis leur irruption sur fond d’ajustement structurel, il y a une trentaine d’années et plus déjà, la prédication des évangélistes n’arrange rien, bien au contraire, à promettre la lune et les étoiles à leurs ouailles crédules.
S’enrichir, s’enrichir, s‘enrichir, baigner dans l’abondance matérielle jusqu’aux oreilles, c’est le seul leitmotiv de l’existence promu sur tous les toits et tous ls tons en « terre chérie », par la vénalité et ses chantres patentés. Peu importe comment y parvenir, la fin justifiera toujours les moyens. Tant que c’est possible d’accumuler, et bien, on accumule. La passion de l’ostentation drive une économie extravertie qui produit ailleurs du travail via les importations, tandis que les forces dites vives sont embourbées dans un chômage massif et survient d’expédients. Tu verrais tous les milliards qu’engouffrent les importations de blé, de riz, de poisson congelé et de sucre, c’est de quoi avoir une commotion, Castor. Ces chiffres insensés pèsent sur la balance des paiements et attestent du fiasco everestien de l’indépendance octroyée battant pavillon de capitalisme. Des forts en thème hantent les plateaux de télévision avec des chamailleries brutales qui se veulent débats, sans jamais appeler la cause de notre avilissement par son nom propre. Alors que sous nos yeux, la prédation capitaliste opère en toute légalité et impunité.
Ces hauts parleurs aka Longs-Crayons naguère vont se répétant en boucle dans cette triste foire d’empoigne et la compréhension politique de l’économie demeure le privilège des initiés. Entre roquets hargneux et perroquets ventriloques, la rivalité mimétique y bat son plein, acharnée, le projet d’émancipation dans l’Histoire n’est plus à l’agenda de cette clique diplômée et cravatée. Elle le veut à son aune accompli puisque les uns et les autres tirent leur épingle du jeu, alors même que tout ou presque est à (re)faire dans leur pays. Leur habileté à tisser et à entretenir des accointances fructueuses dans l’appareil du fiasco et de l’inachèvement, passe auprès des compatriotes lambda pour de l’ingéniosité. Leur train de vie fait des envieux et des envieuses dans les maisonnées sur 360°, entre les quatre murs où les moustiques sévissent sitôt que la nuit advenant évince le jour. Pendant que le faste caracole sans modération dans l’incurie généralisée, l’impécuniosité ronge son frein en se disant « Un jour, un jour, ce sera mon tour, une opportunité se présentera, par la grâce de Dieu… » et en attendant l’heure de cette grâce divine, ça suffoque et ça suffoque dans le corset des constrictions, Castor.
Deux leçons du programme d’histoire en classe de 3ème retinrent mon attention au soir des 60s, celles sur le commerce triangulaire et les résistances africaines à la pénétration européenne. Y figurent-elles encore aujourd’hui ? La propagande se prévalait alors sous l’égide d’Ahmadou Ahidjo du taux de scolarisation élevé au Cameroun et « l’Afrique en miniature » figurait de fait en haut des classements périodiques établis par l’Unesco. Que reste-t-il de cette flatteuse donnée quantitative, au début de cette deuxième décennie du 21ème siècle ? L’état des lieux au 237 n’en fait guère montre et c’est peu de le dire ainsi, Castor. La rapine est une culture en partage et elle fait milieu comme l’eau l’est pour les poissons. Autant ces deux mémorables leçons du programme d’histoire en classe de 3ème ont accompagné cet adolescent à travers sa jeunesse et déterminé ce faisant son rapport au monde contemporain, sous le signe du refus d’obtempérer aux injonctions de la société des supplétifs à laquelle fut octroyée l’indépendance, autant il lui semble adultes rendus désormais au bord du troisième âge, qu’elles aient par contre glissé sur la majeure partie de ses congénères de cette époque où il y avait des cinémas.
L’indocilité juvénile sera vite rentrée dans les rangs de la docilité pragmatique, mascottes familiales devenues et ils se sont intégrés à l’appareil de l’inachèvement. Quelles femmes et quels hommes cette école sous Ahmadou Ahidjo aura ainsi formé(e)s ? Peu leur importerait à ce point l’Histoire que ces mascottes pactisent sans frémir jamais avec la logique du Détriment qui essore l’Afrique comme une vulgaire serpillère ? Votre sacrifice, tes camarades upécistes et toi, aura donc été vain ? Pour qui et pour quoi êtes vous donc morts ? Il y a qui en « terre chérie » today pour (se) demander ce que le « père de la nation » fit de ta tête, trophée macabre ? Fut-elle enfouie quelque part dans l’immense jardin de l’ancien palais présidentiel où s’est logé le musée national, en défigurant par des ajouts intempestifs, cet édifice naguère remarquable ? Fut-elle balancée dans le lac voisin ? Qui ne nous dira jamais, Castor, où est passée ta tête d’insoumis si bien faite ? Ta radicalité politique nourrie de théorie économique marxiste devait vraiment empêcher Jacques Foccart aka le Chanoine de dormir à Paris sur ses deux oreilles : la décision prise de te neutraliser définitivement ne pouvait procéder que de cet inconfort. Quelle postérité te rendra justice si de génération en génération, le déni persiste sur l’extorsion capitaliste et ses méfaits visibles dans notre pays ?
Gravées dans les replis du génome par les expériences pionnières et fondatrices de nos devanciers sur Terre, deux sensations primordiales bornent le vécu humain, le ravissement et l’effroi. L’un dilate l’être vers l’immensité, tandis que l’autre le ratatine sur lui-même en une sorte de trou noir. Entre les deux, les circonstances labiles de l’existence déplacent le curseur sur le spectre des intensités. En ce moment se joue la CAN 2023, en Côte d’Ivoire. Les Lions Indomptables se sont qualifiés de justesse face à la Gambie et sa vaillante équipe. Tu aurais vu l’explosion populaire de joie et de soulagement au coup de sifflet final. Une jeune femme qui était jusque là sagement assise devant moi en tripotant ses extensions capillaires, à la terrasse de mon mouillage favori, est sur le champ entrée en transe, à trépigner sous cet enthousiasme irrépressible. Le chauvinisme avait eu chaud jusqu’à la dernière seconde, tenaillé par une crispante et brûlante incertitude. Ces trouées que la liesse pratique dans la suffocation ambiante déchargent/dissipent à bon escient de l’énergie psychique. Qui donc est le sponsor principal de la compétition ? Total Energies, Castor, Total !
Alors même que le groupe français essuie le feu roulant des critiques, indexé par Greenpeace et consorts pour son entêtement à investir dans les décriées énergies fossiles. Alors même que la crise climatique découlant de leur usage et de l‘accumulation des GES dans l’atmosphère, multiplie les évènements extrêmes sur la planète. Les Africains, eux, n’en ont visiblement cure et nul ne semble choqué par ce patronage institutionnel fleurant l‘allégeance au monoxyde de carbone. La passion populaire pour le football en Afrique sert ainsi de terrain commode au green washing. C’est un bien misérable rôle de faire-valoir auquel la CAF se prête là, sur le théâtre des apparences et le dos des aficionados. Est-ce vraiment nécessaire d’aller fouiner dans le tiroir des discrets bénéfices personnels de cet accompagnement classé corporate/RSE ? Le pétrolier a en effet les moyens de sa persuasion et il ne lésine pas sur les largesses confidentielles pour obtenir ce que ses plans stratégiques veulent, ainsi que l’ont montré des assignations en justice, ici et là. Lorsque la rogne des jeunes Sénégalais pulvérise quelques stations-services de son réseau, Total peut même se permettre de décliner une campagne de communication paternaliste, en culpabilisant les auteurs de ces gestes vindicatifs pour les emplois perdus, 945. Y-a-t’il match avec le massacre octogénaire du camp Thiaroye? La réponse est dans la question et le prix du sang court toujours à cette aune.
Citadelle assumée de l’idéologie capitaliste, l’émergence économique des Etats-Unis est tributaire d’une saison de l’esclavage sur laquelle des historiens consciencieux lèvent enfin le voile[1]. S’étirant sur huit décennies après la proclamation de l’indépendance en 1776, le commerce du coton fut pour cette expansion intra muros et au delà, ce que le pétrole est dans l’économie mondiale de nos jours. Des fortunes colossales se sont faites grâce au coton et défaites, les marchés financiers sont nés et les corps des Nègres, femmes et hommes, furent alors les gages initiaux des créances dans ces transactions. Et aujourd’hui, dans le sillage écumeux de l’élite urbaine avide des promesses de satiété du consumérisme, les classes moyennes coopèrent dans ton pays avec la logique du Détriment, comme si de rien n’était. Mon petit doigt me dit que nous sommes la risée en privé du monde et des intérêts qui se pressent en souriant dans la salle d’attente de l’Afrique pour la ruée 3.0 en cours de téléchargement.
Objectif à peine affiché de ces prétendants : faire pour les uns du continent à l’aune des normes écologiques, un nouvel atelier du monde, vu le faible coût des facteurs, en particulier du travail et pour les autres, y développer des débouchés à long terme pour absorber les revenus de ces classes moyennes locales, en y écoulant des marchandises fabriquées dans la marge des économies dites avancées de l’OCDE, puisque les gens y sont moins regardants. Et ce faisant désengorger des circuits saturés par la surproduction chez eux. Faute donc d’un tissu manufacturier digne de ce nom chez nous, le capital étranger va de nouveau venir faire demain la pluie et le beau temps à peu de frais, moyennant les incitations fiscales de la ZLECA. Leurs homologues locaux jouent encore aux billes dans un petit pré-carré, alors que la valorisation boursière de la firme Apple tutoie allègrement le PIB de la France en Janvier 2024. Comment ne pas avoir un pli au cœur à cette perspective, Castor ? Les tares qui firent dire à un compatissant René Dumont, en 1962, que l’Afrique était partie du mauvais pied, sont toujours là, elles continuent d’hypothéquer l’essor de nos pays malmenés par la petitesse des Faustiens et de leurs émules du cru. La ci-devant petitesse fait de plus en plus comme une somme qui alimente sans discontinuer la suffocation d’une aube à l’autre et pousse les plus hardi(e)s à prendre la route à leurs risques et périls, un jour ou peut-être une nuit. Pour aller voir ailleurs où l’herbe est réputée plus verte. En l’occurrence, ils/elles jettent leur dévolu sur l’Europe et les larmes sèchent vite dans le Sahara où certains/certaines restent. Y’a pas que la Méditerranée qui est un cimetière dans cette translation, Castor, et de beaucoup s’en faut même. Que des femmes et des hommes n’aient plus que le verbe PARTIR en tête, cela dit assez que le marasme là où ils/elles sont né(e)s, est aussi avancé que l’Institut d’études de Princeton où Einstein a prodigué les lumières de son génie. Ceux et celles qui n’osent pas prendre cette route se débattent dans une trappe. « On va faire comment ? » : c’est le mantra de la résignation.
Ouverte ou sourde, dans la sphère publique autant que dans la privée, comment donc la violence ne prospèrerait-elle pas dans ce champ, au sens de la physique théorique, avec ses consistants effets de freinage des aspirations ? Pour une bagatelle, un mot de travers, la moindre prise de bec suscite des étincelles dans l’espace-temps des débrouillardises. La chronique des faits divers lévite au-delà du sordide. Ourdie par des « créateurs d’impossibilités »[2], de toi à moi, Castor, comment donc la laideur ne d‘épanouirait-elle pas lorsque la sensibilité a été un tel point rabotée depuis trois générations par la collaboration enthousiaste avec la cruauté infinie du système de prédation capitaliste ? La société des supplétifs s’est tellement prise à son jeu de miroirs qu’elle ne se rend pas compte du crime que commet sans vergogne aucune la gent mondiale des Profiteurs en tout genre et auquel elle participe en toute bonne conscience.
Comment donc la haine, avec ses diverses déclinaisons, ne gagnerait-elle pas chaque heure qui passe du terrain, lorsque la souffrance psychologique ne trouve pas d’écoute dans ce paysage subjugué par le culte de l’argent et truffé de barbelés invisibles ? Comment donc le désespoir ne pousserait-il pas à commettre des gestes sans issues de secours, Castor ? Certains tronçons des 284 km reliant Douala et Yaoundé par un étroit ruban de bitume en très piteux état sont désormais, ici et là, théâtre de guet-apens. Des malandrins caillassent les voitures à la faveur de la nuit ténébreuse. Comment donc cette menace réelle ne perturberait-elle pas le flux de marchandises et la mobilité des personnes, avec fatalement des répercussions disparates ? Dans ces terroirs semi-urbanisés, les gens tirent le diable par la queue et cette bascule dans le brigandage ne surprendrait éventuellement que la lune dans sa cyclique impassibilité argentée.
Epris des fétiches faustiens, jusqu’à l’addiction, le gotha de l’inachèvement ne sait pas qu’il descend d’un monde dont le sens esthétique continue d’émouvoir les Blancs dans les musées où sont exposés les objets qui en témoignent. Férus de pragmatisme, de rente et de cash, il investit dans la pierre et de immeubles poussent tels des champignons à Douala et Yaoundé. Moult IGH surplombent de plus en plus le cauchemar urbain que ces deux villes sont à maints égards et par ces jours de fournaise, la promiscuité de doit pas aller de soi dans les quartiers à l’entour. Lorsque le soleil parade au zénith, il tanne la peau. Tu crois, Castor, que quelqu’un se mettrait à la place de ces cohortes juvéniles qui vont et viennent on the good foot entre l’école et leurs pénates ? Le président d’une association, Les Amis de la Ville de Douala, a préféré mettre des encarts publicitaires à la place du texte commandé par la SG, Suzanne Kala Lobé, et que j’avais fourbi sur la fournaise au prisme des enjeux écologiques, dans un magazine astucieusement intitulé Cityzen, dédié aux activités de ce regroupement transethnique et auquel j’avais participé activement toute la première saison de cette initiative au demeurant fort louable.
Avec les murs en béton de nos maisons « en dur », synonyme de modernité, les corps pâtissent passé le crépuscule de la réfraction thermique. La température ressentie en cette saison sèche frôle parfois les 36°C, au cœur de certaines nuits inconfortables, plombées qu’elles sont par la moiteur dans l’estuaire à mangrove du Wouri. Il en irait, of course, tout à fait autrement avec une architecture en terre, n’est-ce pas ? Rien ne fait plus montre de la dissonance cognitive qui vrille notre époque que l’adhésion massive à l’inertie du matériau ciment. Qui donc osera alors prétendre que cet intense stress thermique n‘exerce pas d’impact à la longue sur l‘humeur et la santé ? Des projets ayant pour objet l’ombre, voire un embryon de politiques urbaines en tant que telles, ne seraient pas ces jours-ci en cours sur la planète. De ce côté du monde pourtant et hélas, peu importe aux cliques repues ce qu’endure au quotidien la progéniture des myriades de l’impécuniosité permanente, sous l’ardeur diurne du rayonnement de notre étoile. Le citoyen/la citoyenne ne serait alors même pas encore à cette aune, un sujet historique en voie d’apparition au voisinage de la latitude zéro ? Cette saurienne indifférence au sort des autres, la propension insane à vouloir tout pour soi, porte un nom au 237 : le gros-cœur. Il se rencontre de facto sur tous les paliers d’activité de la société des supplétifs, sous de multiples facettes.
Dear Castor, à l’instar de « lobotomie », « hystérectomie » ou « vasectomie », le lexique courant de la bibliothèque critique manque singulièrement d’un terme adéquat pour dire recta l’amputation du sens esthétique par la disruption coloniale sous les cieux de l’oralité. Car c’est à mon sens en cela que réside, à y regarder de près, notre plus grand malheur dans la rencontre dramatique avec l’épopée de la désinhibition des « degradados »[3] : « aliénation » ne suffit en effet guère à enchâsser cette suppression et ses notoires effets néfastes sur la teneur du présent. Nous avons perdu le sens de l’extase . C’est dans ce rétrécissement de l’être-au-monde que le so called « gros-cœur » prospère en « terre chérie » vert-rouge-jaune. Le malaise n’est pas juste une affaire de chicotte et de médaille, de récompense et de sanction par le colon blanc. Dans son récit de l’avènement de l’Univers, le Mvett lorgnait naguère vers l’immensité avec Aki Ngoss, l’Œuf-de-cuivre qui explose. Nous avons troqué des cosmologies/postulations poétiques, puissantes et en haute fréquence, contre la fable prosaïque en basse fréquence et étriquée du monothéisme.
Laquelle incrimine le principe féminin et l’érige en fauteur de la souffrance du genre humain, alors que les cultures héliocentriques africaines l’exalte, sous le signe de l’expansion, quand le principe masculin est celui de la retenue[4]. La chute ? La rédemption ? Il n’était point question de cette métaphysique du Bien et du Mal avant l’irruption de la Bible et c’est pourtant elle qui structure le mindset contemporain. Les pratiques sacrificielles liées jadis à la dissipation de l’incertitude par la consultation divinatoire, visaient à contenir l’entropie intrinsèque au réel. Les initiations diffusaient cette intelligibilité sur toutes les strates généalogiques et aujourd’hui, la thermodynamique est un périmètre en ivoire interdit aux néophytes. Combien d’entre nous s’extasient depuis son lancement sur les images époustouflantes du télescope spatial James Webb ? Cette incursion aux abords du Big-Bang, dans le domaine de l’immensité cosmique où la foi monothéiste diffractée en judaïsme, christianisme et islam, situe son Dieu, est inconcevable à ses humbles ouailles locales, sinon que sous le mode inouï du sacrilège consommé et donc il faut s’attendre à des représailles sévères du Tout Puissant Papa God. On n’offense pas impunément le détenteur des grâces…
La scabreuse incuriosité prévalant dans la société des supplétifs est à ce titre une des instanciations remarquables de la suffocation. Qui ne s‘est pas entendu dire enfant que la curiosité est un vilain défaut, alors que cette aptitude est le leitmotiv depuis le commencement de l’odyssée altricielle, l’ouverture qui mit en branle le bipède à cerveau volumineux à travers l’écrin du vivant et y guida son insertion optimale ? Tailler des croupières à l’insu encore et toujours, assez pour en tirer un boisseau de lois sur son fonctionnement et qui seront demain dépassées par les avancées de la curiosité inlassable. Soit une tâche asymptotique s’apparentant au supplice de Sisyphe condamné dans la mythologie grecque à remonter un énorme rocher au sommet d’une montagne d’où il retombe invariablement. Mais peut-être nous approchons nous de la rencontre entre la démarche extensive arrivant dans la complexité et le savoir compréhensif qui l’a toujours fréquentée. Le rationalisme a cru bon de s’en gausser et lui a trouvé naguère une désignation creuse : animisme.
La position anticapitaliste est difficilement tenable sous nos cieux de mimétisme, Castor, à moins d’être animé par va donc savoir quelle détermination coûteuse en confort élémentaire. Sauf à verser dans la trahison des clercs, je ne me vois absolument pas désertant ce site aride, toutefois. Pour aller où ? Rentrer dans le rang ? Les Experts bleu-blanc-rouge sont champions d’Europe de hand-ball et je n’ai pas pu suivre la confrontation avec les Danois. Parce que je n’ai pas de télé et pas les moyens surtout de m’en acheter une. Je n’ai pas de pension de retraite non plus, pour avoir toujours claqué la porte du salariat au bout de dix huit mois en moyenne, ici et là. J‘ai essayé trois fois et fini par envoyer paître cette servitude volontaire. Serais-je toujours de ce monde, si j’avais persévéré ? J’en doute.
Est-ce que je m’en mords à ce point de la vie rendu les doigts, impécunieux ? Parfois, certes, lorsque l’anxiété me submerge et qu’il me semble alors cheminer au ralenti vers un précipice inexorable. Je m’y trouve si seul alors que les histrions de l’inachèvement batifolent avec des pairs dans une oasis d’apesanteur, choyés par une égérie du K. Quatre années durant et trois par semaine, pro bono, j‘ai été le Petit Homme Vert à la radio, au lendemain du Sommet de la Terre à Rio, du 19 octobre 1992 à un jour d’Août ou de Septembre 1996. Une sorte de « whistle blower » avant la lettre, tant il me semblait que l’Afrique pouvait reprendre l’initiative dans l’Histoire à cette aune et je n’en démords pas, même si elle est aphone et que sa voix manque dans la conversation mondiale sur ces enjeux. Au 237, ça ne compte pas pour l’ordre établi. Ni d’être l’auteur du premier livre traitant de l’art contemporain au Cameroun et paru en 2008, L’Ivresse du papillon. La pensée unique tient soigneusement à l’écart le réfractaire à ses injonctions, en espérant qu’il va finir par s’effriter, tôt ou tard...
[1] Edward E. Baptist, The Half Has Never Been Told (Slavery and the Making of the American Capitalism), Basic Books, 2014
[2]Were Were Liking
[3] Peter Sloterdijk, Le palais de Cristal, Maren Sell, 2006
[4] La divination par les huit cordelettes chez les Mwaba-Gurma (Nord Togo), Alfred de Surgy, Harmattan, 1985
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